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Le Figuier de Barbarie se mouille pour qu'il fasse beau !

5 mai 2008

Le poids de l’illusion, histoire légère

Bonjour,

Voici un texte que je soumets à vos commentaires. N’hésitez pas à m'en faire part via les commentaires ou par email, sur la forme (orthographe, syntaxe…) ou le fond.

Au plaisir de vous lire.

Jim.

Madou déjeunait face à Mada dans la tranquillité offerte par les murs pierres d’une pièce étroite surplombée d’une mezzanine. Un rempart de vapeurs s’élevait du plat qu’ils dégustaient tous deux : lui à pleines dents, elle à fine bouche. Ce jour-là, deux poignées de petits pois, quatre gésiers, un bol de bouillon épicé et deux œufs très durs s’invitaient au menu. Mot ne transperçait ; le silence planait : on n’entendit que les ailes mouches, les chants bouches et la danse louche. Il en était ainsi depuis vingt ans que ce couple faisait lit commun.

À l’instar d’autres villageois, Madou s’étonnait de la corpulence de Mada. Il la voyait continuellement prendre du poids, elle qui, naguère, fut si menue, si frêle. Comment peut-on être aussi gros ? se demandait-il. D’autant que, au contraire de lui qui utilisait une cuillère en bois pour manger, elle employait une aiguille de couturier.

Une aiguille…

Elle picorait un à un les grains de lentilles ou de riz, évitait les légumes découpés, et refusait la viande et autres aliments consistants.

Au déjeuner, à peine attablée, Mada semblait déjà rassasiée des quelques grains de petits pois piqués. Pas possible ! jugea Madou, lui qui, malgré le bon appétit, restait chétif. Il l’épia sous ses sourcils broussailleux. Elle trônait de sa masse sur la natte en raphia à même le sol, devant la table basse, deux lattes et trois clous, qui les séparait. Une motte de foin, elle roulerait à la force du vent, pensa-t-il. Un long sari l’enveloppait ; sans motifs, mal vieilli, le tissu lui rappela les sacs de blé en jute. La mine accablée, elle bouleverserait la Méduse Gorgone, médit-il. Engourdie comme dans un vilain songe, elle tendit le bras lentement, à mesure qu’elle clignait les cils. À chaque bouchée, elle poussait un soupir de peine ; elle ruminait, jouissait, souffrait, ruminait… Et on entendit les ailes mouches, les chants bouche et la danse louche.

Mystérieux ! pensa Madou, contemplant sa moitié alors qu’elle éperonnait un petit pois, un tel embonpoint et si peu de voracité à la fois, cette créature gargantuesque doit détenir un secret. « Tu n’as rien mangé, ce soir, demanda-t-il gêné de trahir un ton inquisiteur… Es-tu malade ? » ; « Ne t’en fais donc pas ! répondit-elle hors d’haleine, une terrible migraine me tenaille. »

Tel un morveux, il but le bol de bouillon épicé sans avoir assouvi sa curiosité.

Au dîner, Madou assistait, ébahi, à une scène similaire : le repas était succulent comme à l’accoutumée, mais Mada butinait. « Tu devrais te nourrir un peu tout de même, dit-il, tu risques de tomber malade » ; « Ah ! si tu savais ! dit-elle, des brûlures à l’estomac me coupent l’appétit ; je ne peux rien avaler. » ; « Dommage ! » ironisa-t-il.

Peu convaincu de ces réponses, le villageois décida, à la digestion, de rejoindre ses compères et soumettre son imbroglio à leurs sciences. « Ah ! tiens, c’est curieux, mon épouse est très forte aussi, mais c’est que je la nourris bien », dit le premier ; « La mienne a des rondeurs aussi mais elle a depuis toujours aimé manger », dit le second ; « A moins que la mère de tes enfants n’ose pas te révéler la maladie qui la frappe », dit le troisième ; « Et s’il y avait un parasite dans ta farine », dit le dernier.

Les savantes analyses de ses acolytes ne satisfirent guère le mari préoccupé qui désespérait de comprendre l’obésité injustifiée de sa dame. L’angoisse de passer une nuit de plus dans l’ignorance le gagnait.

Sur le chemin du retour, alors qu’il s’empêtrait dans ses élucubrations, une idée lui redonna espoir : prétexter un voyage et percer le secret de sa femme. Alors, au petit matin, Madou quitta la maison et dévala la colline en direction de la ville. Il rebroussa chemin peu après la première étoile, se glissa par la lucarne de la mezzanine laissée entrouverte, puis, impatient de ce qu’il allait découvrir, se faufila parmi les sacs de denrées alimentaires, s’installa et observa la nuit. Mada s’endormit sans se douter de la ruse que lui concoctait son bien-aimé.

A l’aube, Mada s’enfonça dans la pièce de la mezzanine, en obstrua l’entrée. Son empâtement n’avait cependant d’égal que son ardeur au travail, contrairement à l’habitude : elle vida un seau de semoule dans un bac d’eau, fit valser sur les braises à l’entrée de la pièce un chapon déplumé, cuisina un pain au froment, et s’empara de carottes, tomates, courgettes, oignons…, de quoi restaurer une tribu, qu’elle versa dans un fait-tout réservé aux grandes occasions. La grillade libéra un nuage de fumée qui chatouilla les narines de l’espion embusqué. « Pour qui tant de nourriture, des convives que j’ai omis d’accueillir ? » murmura-t-il.

Quelques effluves plus tard, voilà fin prêt le repas de la mi-journée. Mada déposa le mets dans un plat en terre cuite digne d’une famille nombreuse, s’attabla et entama le festin : elle retint le souffle, la main droite agrippa les légumes fumants, la gauche happa une cuisse de volaille qui encombrèrent la bouche. La femme peina à respirer et ne sut où donner de la tête, tout lui paraissait exquis. Des complaintes d’exaltation s’expulsèrent : « Mmm ! quel délice ! », « Que cette semoule est fine et légère ! », « Que ces légumes sont savoureux et tendres ! », « Que ces pois chiche sont fermes !»,  « Que ce coq est délectable ! »… Cuillérées après cuillérées, point d’aiguille, elle avala, haleta : le gras miroitait sur les joues joufflues, le bouillon ruisselait aux commissures des lèvres, les os gisaient sur la table, le thé et la galette au froment faisaient souvenir.

Misérable dans sa tanière, Madou contempla la vigueur de sa légitime au geste vif et au regard avide qu’il ne lui connaissait pas. Il assista à un carnage truculent. Quel goinfre ! se dit-t-il, en ma présence, elle picote comme un poussin et, le dos tourné, elle désosse la basse-cour ! Voilà pourquoi cet embonpoint!

Trois jours durant, parmi les souris et les blattes, il admira ainsi la gloutonnerie de sa femme.

La dernière nuit, tandis que Mada ronflait pareille à un dromadaire en rut, que les légumes dansaient dans sa panse, au milieu d’un parterre de grains de semoule, sous le chant du coq, Madou s’éloigna de la maison, abasourdi par ce qu’il venait de vivre. Mais il se sentait soulagé car il avait percé le secret de sa conjointe. Puis, il échafauda un subterfuge justifiant son retour précoce du prétendu voyage et, par un habile phrasé, témoigna ses péripéties : « Après trois jours et trois nuits d’aventures, dit-il, j’y suis arrivé. Une pluie de semoule s’est abattue sur moi, et si je ne m’étais abrité sous un galet au froment, par la foudre j’aurais connu le sort du chapon braisé. »

Lentement, Mada cligna des cils, lâcha un soupir affecté et s’en alla entre les murs pierres de la pièce étroite surplombée d’une mezzanine.

Jim Selouane

Avis à commentaires

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23 janvier 2008

Bernard-l’hermite

Nouvelles_Pousses

Alors que les nantis attachaient leurs ceintures, et les nôtres serraient la leur, moi, je jouais au bernard-l’hermite. Je me réfugiais dans l’univers de Chidi. Mon univers !

Rencogné dans ma cache secrète, au cœur d’un tronc de caroubier crevassé en haut de ma falaise, attendant d’apercevoir la 404 blanche au gré des vents, j’empruntais la peau du chauffeur.

Je me berçais des remous qu’il provoquait, péripéties qu’on racontait. Je rêvais d’aventures, de stratagèmes, d’embuscades, et de victoires in extrémis… j’aspirais défier les jeeps, braver la nuit, dompter les sentiers. Je devinais d’autres contrées que le souk du samedi où il fallait ruser et user des coudes, se faufiler entre les chars d’assaut et les charrettes de fruits et légumes pour éviter les pépins. J’imaginais ce qu’apportait la Peugeot : des baguettes blanches et parfumées d’une boulangerie ? Des chaussures à trois bandes munies de lacets tenant les chevilles ? Des vêtements chauds aux noms de marques de voitures ? Des jouets qui ne servaient pas à piéger les moineaux ?...

J’y croyais. J‘entendais le chant discret du moteur, et strident paraissait celui des sirènes. L’odeur prégnante de l’habitacle m’appâtait, m’égayait. J’appréhendais la gêne d’un gouvernail encombrant et maudissais mes courtes pattes, incapables d’atteindre les pédales. La boule noire du levier de vitesse luisait à mesure qu’une boule blanche d’angoisse croissait à l’abdomen jusqu’à muer en vague de frissons. Mais c’était le jeu du bernard-l’hermite. Je ne prenais aucun risque en réalité dans ma coquille carrossée. Mon élément. Je m’improvisais, un temps, petite veilleuse dans l’obscurité de Chidi. Et je refusais de quitter ce cocon pour ne pas faire pleins phares sur mes propres tracas.

Jim Selouane

20 janvier 2008

Le Figuier de Barbarie vous remercie

Figoscopie_La_vie_du_blogBonsoir

Je vous remercie de vos messages et n’hésitez pas à commenter les textes de ce blog qui se prétend intimiste. Toutes mes excuses à ceux qui tentaient d'envoyer leur avis et qui n’y parvenaient pas, malgré, pour certains d’entre vous, moult tentatives. C’était dû, dira-t-on, à un problème technique, lequel problème technique a souvent bon dos. Mais voilà, je viens d’obtenir mon BEP de bloggeur, donc tout semble rentré dans l’ordre. Merci de votre patience.

Par ailleurs, l’inspiration étant parfois en hibernation aussi, quelques textes seront tout de même fin prêts très bientôt.

Tazulatine à tous et bonne lecture.

Jim Selouane

30 décembre 2007

Amants vagabonds

Nouvelles_PoussesMon village a été élu. Elu par deux amants vagabonds. C’était avant la poussée des collines et l’éclosion des rivières. Verte était alors la plaine.

Transportant un balluchon de désespoir en ses particules, la fine poussière voulait échapper à l’haleine d’un balourd de brouillard. Elle voguait, fuyait sans destination précise, comme le contrebandier devant les gendarmes. Plaisir inassouvi. La cendre ocre virevoltait au dessus des têtes, à l’intérieur des maisons. Elle se nichait dans les yeux, les narines, les vêtements, les lits.

Au cœur de pierre et omnipotent, le brouillard était déjà là, partout, embusqué dans les esprits. Il guettait ses proies. Sa polaire affectueuse et humide les couvait, les emmitouflait. J’entendais parfois l’orage crier de joie. Le ciel aimait rire de nous. Parfois, en effet, il roulait des tambours. Il empêchait le soleil d’apparaître. Mais nos ombres finissaient par se dessiner.

Jim Selouane

30 décembre 2007

Ravaler son pouce

404Pour les adultes comme pour nous autres traîne-poussière à la tignasse de ronces, quelque soit sa couleur, une 404 reste une 404. Toutefois, si elle est blanche, ce n’est plus une 404 mais une « Chidi ».

Un engin de prestige réservé aux contrebandiers, inaccessible aux fellahs. Nous, on se déplaçait à pieds ou à dos de mulet. Les notables, eux, et les fortunés, ainsi considérés, s’entassaient, fièrement, à huit, neuf ou dix (leurs chérubins sur les genoux) dans les taxis collectifs, comme dans des paniers à poules. Je les apercevais dresser la tête, cherchant désespérément à échapper aux odeurs entremêlées de leurs orteils. Ils s’éloignaient tandis que le bitume escarpé usait mes précieuses méduses.

Et ces chauffeurs grippe-sou qui ne cessaient de s’arrêter et de redémarrer ! Parfois devant mon nez, sans me voir. Leurs véhicules empestaient l’échappement et affolaient la poussière. Ils embarquaient les nantis. Toujours les nantis. Les premiers installés grimaçaient face à l’entrain des derniers à qui ils faisaient place. Au mépris des va-nu-pieds, laissés sur le bas côté. Alors je ravalais mon pouce et chapardais les restes de respect dû au propriétaire de la « Chidi »; je grappillais une miette des honneurs faits au pionnier des contrebandiers.

Jim Selouane

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16 décembre 2007

Izlan, joute poético-satirique improvisée

untitledVoici des enregistrements « artisanaux » d’une soirée précédant une cérémonie, lieu d’expression des izlan chantonnés, sans artifice, par les femmes et les jeunes filles. Mieux que n’importe quel discours, ces deux morceaux nous convient dans une ambiance rifaine de joie et de bonne humeur.

Outre les appellations savantes, les izlan, joute poético-politico-socio-satirique fondée sur l'improvisation, s'apparentent plus à ce qui est communément appelé un "beuf". Une fête "organisée" par les convives ou les membres d'une même famille.

Bonne écoute et n’oubliez pas de laisser vos commentaires.

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Izlan_du_Rif

Izlan n wurar 1

Izlan_du_Rif

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Izlan n wurar 2

15 décembre 2007

Promesse de contrebandier

Nouvelles_PoussesJe m’étais fait une promesse. Une promesse que je ruminais comme un veau. Un veau sans pâture. Les fois où, trop souvent, j’avais l’impression que rien n’allait plus. Une certitude qui me donnait des ailes, les jours où me couvait le sentiment d’être condamné à mâcher du pain au sarrasin noir, accommodé de graisse animale fondue à tous les repas ; un désaltérant qui m’abreuvait de douceur quand j’étais voué à boire, éternellement, l’eau du fond des puits, croupie, mi-salée, mi-tiède, agitée pourtant par une foule de têtards ; une bouffée d’air qui me ravivait lorsque je me consumais comme le crottin de cheval, roulé dans du papier journal « El Païs », que je fumais en cachette.

Je m’étais fait une promesse. Celle de ne pas hériter ni de transmettre la tristesse qui, bien plus que les intempéries, ravageait le visage de mon père. Une tristesse qui l’enterrait à mesure qu’il éventrait la terre pour en extraire la pierraille, négociée trois francs six sous la charrette.

untitledJe m’étais fait une promesse. Un objectif précieux. Le projet de m’acheter une 404 blanche, aux vitres teintées, rapide et silencieuse. Une ambition à savourer le plus tôt possible. S’il le fallait, pour ça, je vendrai du sable aux Nomades.

Au volant de ma Peugeot, j’emprunterai les chemins caillouteux que je connais comme les lignes de la main, je devinerai dans l’obscurité ceux qui ne sont pas tracés. Je les improviserai en contournant bosquets et rochers. Je ferai hurler les pneus de ma voiture sur la rocaille jusqu’à l’une de mes planques. Secrète. Léger comme l’air, je disparaîtrai dans le vent. Derrière moi, une traînée de poussière. Seule preuve de mon passage. De mon existence. Le nuage de cendre ocre emprisonnera les hommes en uniforme. A l’asphyxie. Sans me fatiguer. En m’amusant. Comme mon idole.

Jim Selouane

12 décembre 2007

Kadhafi, président ?

qadafiAvant que le terrorisme secoue à nouveau Tamazgha Centrale (Algérie) faisant au moins 62 morts dans un double attentat à Alger selon Rue89, occupant ainsi une place de choix dans l’actualité, certains médias nous laissaient penser, volontairement ou non, que Kadhafi est président de la Libye. Il est fort probable que les cinq millions de libyens doivent s’étonner d’avoir élu, sans le savoir, l’instigateur du coup d’état de 1969.

Kadhafi lui-même ne semble pas revendiquer la fonction suprême telle qu’elle est considérée dans les démocraties modernes. Il dit qu’il n’a « aucun pouvoir, ni compétence particulière pour décider du bien de la Libye. Il appartient au peuple de mener la politique qui correspond à ses aspiration. »

KDans la liste d’organes de presse qui couronnent le panarabiste libyen, citons Reporters sans frontières qui se dit « consternée par l’aggravation des peines réclamées en appel à l’encontre d’Ali Fodil et Naïla Berrahal, respectivement directeur et journaliste du quotidien arabophone Ech-Chourouk, dans le procès en diffamation qui les oppose au président libyen Mouammar Kadhafi. »

Egalement, sur son blog, Ségolène Royal, l'ex-candidate PS à la présidentielle, s'est déclarée « "profondément en désaccord" avec la visite du président libyen Mouammar Kadhafi en France, car les infirmières bulgares "ont été torturées" ce qui "ne s'est pas fait à l'insu de Kadhafi". »

De même, les échos.fr titre ainsi un billet du 10 décembre 2007 : « Rafale : Paris espère une marque d'intérêt du président libyen »

« Le président libyen a répliqué à son tour, ironiquement, hier, sur la question des droits de l’Homme dont certains le pressent de s’expliquer. » Le Télégramme.com.

« Le président libyen, Mouammar Kadhafi, est arrivé, mardi 11 décembre, à 11 h 45 au Palais Bourbon. » Le Monde.fr

KadhafiLundi, après avoir reçu le colonel Kadhafi, Nicolas Sarkozy a déclaré : « la France a indiqué au président Kadhafi qu'elle le recevrait en France après la libération des infirmières. »

Par qui, diantre !, Kadhafi a-t-il été élu ? Où est le dictateur de naguère ? Pourquoi veut-on propager l’idée que Kadhafi est un président comme les autres, outre qu’il soit un partenaire incontournable dans l’ambitieuse entreprise de l’Union Méditerranéenne ?

Pour conclure, disons que « La visite du Président libyen en France permettra la signature de contrats dépassant les 10 milliards d`euros… »

Voilà qui est plus claire ! Les démocrates libyens se sentiront pousser des ailes de savoir que leur président reviendra avec des avions Airbus pour les expulser de leur pays.

Jim Selouane

12 décembre 2007

Kadhafi et la journée mondiale des droits de l’homme

qadafiLundi 10 décembre, journée mondiale des droits de l’homme, la France a accueillie le « Guide de la grande révolution de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste ». Cinq ans auparavant déjà, poussé à son comble, le paradoxe a voulu que les despotes de Tamazgha Orientale (Libye), animés d’idéologies racistes (nassérisme, baasisme), soient désignés par les gouvernements africains pour présider la Commission onusienne des Droits de l’homme.

imagesRama Yadé-Zimet, la jeune secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères et aux Droits de l’homme, grande gagnante de la « Star Académy » selon l’expression de Jean-Pierre Chevènement, néanmoins symbole de la représentativité des « minorités visibles » au sein de la République, a démontré sur ce coup, en plus d’être appétissante, qu’elle a aussi des convictions : « Le colonel Kadhafi doit comprendre que notre pays n'est pas un paillasson, sur lequel un dirigeant, terroriste ou non, peut venir s'essuyer les pieds du sang de ses forfaits. La France ne doit pas recevoir ce baiser de la mort » a-t-elle déclaré au journal Le Parisien. Convictions qu’elle sait taire lorsque la sagesse la rappelle à l’ordre.

Pourvu que ça (ne) dure (pas)…

Droits de l’homme et « minorités visibles »

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Si le discours du président de la République en direction des enfants de France, issus des « minorités visibles », était aussi favorable que celui à l’adresse de dictateurs étrangers tels que Kadhafi ou Poutine, la France s’empêtrerait dans un bonheur sans équivalent. Pourquoi s’y risquer ?

Par ailleurs, le 1er octobre 2007, Gay J. McDougall, experte indépendante des Nations Unies sur les questions relatives aux minorités, a demandé un engagement ferme de la France pour promouvoir la diversité : «Le racisme est vivant, pernicieux et il cible clairement les minorités «visibles» issues de l'immigration qui sont pour la plupart des citoyens français». « Le message implicite dans l'appellation du nouveau Ministère de l'immigration de l'identité nationale de l'intégration et du co-développement semble leur indiquer que la présence et le nombre croissant de personnes issues de l'immigration menacent l'identité nationale de la France et constituent un problème qui doit être résolu.» a-t-elle ajouté.

A quand la rupture ?

Toujours est-il qu’au royaume romanesque de la realpolitik, la rupture n’est pas celle des couples qui font couler les larmes d’encre dan les magazines people. La rupture n’est pas non plus celle de couples qui abîment nos yeux via les écrans pâles et nos oreilles au travers du transistor. Que nenni ! La rupture en question impliquerait, au contraire, des liaisons dangereuses qui se formeraient, tripes au lit, sur « Les tombes anonymes de victimes berbères de [Kadhafi]… »

Jim Selouane

11 décembre 2007

Kadhafi en France : face à la dictature, les médias redeviendraient-ils raisonnables ?

qadafiLa venue en France du meurtrier d’Amazighs (Berbères) libyens a manifestement un effet positif sur les principaux médias français puisque ceux-ci semblent être redevenus raisonnables en retrouvant leur sens critique, alors même que le contrepouvoir (ou plutôt, la discorde) émerge du gouvernement plutôt que de l’opposition, comme le veut la tradition démocratique française.

Depuis quelques mois en effet, il fallait être drôlement renseigné pour distinguer certaines chaînes de télévisions et journaux écrits, des services de presse de l’Elysée. Et il fallait, là aussi, faire preuve d’une distanciation astronomique pour se persuader que la France ne renouait pas avec ses vieux démons (que nous n’avons pas connus nous autres, génération de la libération de la FM et de l’abolition de la peine de mort), comme c’est encore le cas notamment en Afrique du Nord et plus particulièrement en Libye : la prédominance de la propagande.

Pour la première fois donc, depuis la campagne présidentielle de 2007, à part quelques irréductibles, les médias sont unanimement critiques à l’égard de la diplomatie française (motivée par des enjeux économiques indéniables) qui déroule le tapis rouge (notons le point levé de victoire de Kadhafi sur les marches de l’Elysée) à l’auteur du coup d’état et de la répression massive d’opposants libyens.

Peut-être se souvient-on (enfin !) que l’industrie de l’information indépendante au pays d’Omar El Mokhtar est illégale tandis qu’en France, ces derniers temps, elle avait tendance à nous dicter ce qu’il fallait penser des événements que les rédactions sélectionnaient impartialement. Ce qu’on pourrait résumer par une maxime : « Dans les dictatures, les médias sont censurés, et en démocratie, ce sont les médias qui censurent. »

Jim Selouane

25 novembre 2007

Troquée contre un pain de sucre

1Furtive rencontre

« Je vais vous conter l’histoire d’une rencontre », s’égosille un sexagénaire buriné à l’entrée du souk de Selouane, au milieu de criées et de bousculades. Interpellé par les vociférations du vieillard en sueur, un groupe de flâneurs s’agglutine sous un soleil éblouissant. Cette journée estivale est particulièrement chaude et l’atmosphère, irrespirable.

« Pas n’importe quelle rencontre ! » répète-t-il. « Une rencontre aussi furtive qu’une étoile filante que j’ai vécue lorsque j’étais jeune homme, il y a donc très, très longtemps. Un coup de foudre qui a bouleversé mon existence. Une confrontation où l’impression de ne rien maîtriser, ni les mots ni les événements, vous envahit et vous asservit. »

Vif et déterminé, le vieux farfelu met en scène son corps bâti tel un fortin. Il s’approche de l’un de ses congénères rameutés et le regarde droit dans les yeux. La mine enthousiaste, le geste brusque, le conteur l’interpelle : « Crois-tu que cette histoire se soit déroulée dans un souk comme celui-ci ou dans une fête ? Pas du tout. Elle a eu lieu entre les taillis et la rocaille. Un environnement hostile et désolé dans lequel je me suis retrouvé nez à nez avec une femme, qui plus est, là où il était plus probable de tomber sur un lièvre ou une gerboise que sur une femme…

Et quelle femme ! »

Le vieux raconteur ferme ses petits yeux, un instant, et feigne humer l’air, le nez remonté vers le ciel. Puis, il soupire en baissant la tête : « Depuis ce jour là, la canicule me semble plus supportable. La roche naguère terne me parait désormais scintiller, tandis que les pacages de chaume font figure de champs de coquelicots… »

2

« Mi’t yughin ? Min yeqqar ? » (Qu’a-t-il ? Que dit-il ?), marmonnent quelques retardataires.

« C’était la fin d’une journée qui avait des relents de printemps, la plus douce de l’été. Je profitais, avec l’aide d’une cinquantaine de saisonniers et d’une vingtaine de villageois, de… »

« Bouykharriqen ! Bouykharriqen… » (Menteur ! Menteur !), s’écrient les gobe-mouches, encombrés de sacs de provisions.

Imperturbable, le vieillard poursuit : « Je profitais donc, de la présence des saisonniers et villageois, et de ce redoux, pour mettre les récoltes à l’abri avant le retour des grandes chaleurs.

Alors que mes compagnons étaient rentrés, j’allai me reposer à l’ombre d’un olivier. Tout à coup, une délicieuse apparition vint troubler ma routine et mon indéfectible solitude. »

« Mmmmm ! », murmure la foule en soutien au vieil homme.

3

« Légère et frêle, elle dévalait le versant encore ensoleillé de Bouyghanjayen, la colline culminant au milieu d’un décor de vallons à perte de vue. A l’image d’un ange, elle ondoyait dans une lumière or, telle une flamme mouvante. Malgré la fatigue ordonnant à mes yeux de se plisser, je devinais sa sublime silhouette », dit-t-il, un sourire béat, les mains esquissant, dans le vide, les formes d’une femme.

Il ôte son turban délavé et exhibe son crâne rasé perlant de sueur.

« Ce qui passait pour un mirage était-il bien réel ? Je me redressais pour m’en assurer. La toute blanche étoffe dont elle était vêtue et le pan de jupe flottant ne laissaient aucun doute sur sa féminité. »

« Xizzu, tumaâtic, batata, tinifin… a âchra, âchra, âchra Douro i kilou, âchra Douro ouchay llah !» (Carottes, tomates, pommes de terre, petits pois… dix, dix, dix Douros le kg, dix Douros ... !), criaille un marchand ambulant à l’accent des Yat Bouyahyi.

« Que fait-elle ici ? Qui est-elle ? me demandais-je à plusieurs reprises, tant j’étais intrigué par la présence d’une telle créature en ces lieux. Je m’interrogeais en effet : avait-t-elle une destination, de la famille dans les environs ? D’autant que le village et la Source Perdue, les seuls lieux de vie aux alentours, étaient de l’autre côté. »

L’infatigable orateur saisit un grand verre de thé que lui offre à présent le serveur de la tente nomade voisine. Il claque sa langue et s’extasie : « Quelle belle gorgée, mon neveu ! »

Les yeux exorbités, il se penche en avant, s’avance vers les spectateurs, les dévisage un par un, puis murmure : « Tandis que je m’approchais d’elle afin de la reconnaître… » Soudain, il lève le ton : « …elle dévia de sa trajectoire initiale. Elle se déplaçait à pas comptés. Elle évitait les roches acérées et les bosquets épineux qui accrochaient sa robe. Pressant moi-même le pas, je lui lançais, avec un grand signe de mon sombrero à la main : Où vas-tu ?

Elle semblait aussi seule que moi, perdue dans le brouillard de ses pensées. Ses cheveux noirs ondoyaient le long du dos. Ils imitaient les remous de la mer.

À mesure que la distance se réduisait entre nous, je sentais mon pouls s’accélérer à l’idée de cerner son visage. Je brûlais d’impatience.

Redoutant qu’elle s’éloigne davantage, je l’interpellai : Dis-moi, quel est ton nom ?

Elle tourna légèrement la tête de l’autre côté, face à la mer, et dissimula à nouveau son visage dans sa chevelure rebelle. Elle feignit ne pas m’entendre. Elle n’en devint que plus séduisante.

Dis-moi qui es-tu. Es-tu la fille du roi ? lui demandais-je. J’espérais obtenir, enfin, ne serait-ce qu’un regard.

Dis-moi d’où viens-tu, ajoutai-je aussitôt. »

4

Le fabuliste revient au coeur de l’immense ronde formée de curieux. Les bras ballants, le menton enfoncé dans la poitrine, le dos voûté, les joues détendues… Sa posture évoque un échec désastreux. Il ballote d’un pied à l’autre. Un moment. Dans le silence. Les badauds manifestent un respect sans égal compte tenu de l’agitation ordinaire.

L’air résigné, il reprend : « J’étais devenu ce lézard qui se brûle les pattes et ne sait sur laquelle danser ! Et elle, à mes yeux, et à toute mon âme, apparut aussi fraîche et rafraîchissante qu’une bouffée d’air qu’on ne peut retenir. »

A suivre…

Jim Selouane

Illustration : Croquis 1 : Cercle Algérianiste de Montpeller ; Croquis 2, 3, 4 : Belaid Belhaoui 

19 novembre 2007

L’enfer c’est les autres

Observatoire_des_M_dias_Le_Figuier_de_Barbarie« Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous connaître, au fond nous usons des connaissances que les autres ont déjà sur nous, nous nous jugeons avec les moyens que les autres ont, nous ont donné, de nous juger. Quoi que je dise sur moi, toujours le jugement d'autrui entre dedans. Quoi que je sente de moi, le jugement d'autrui entre dedans. »

Jean-Paul Sartre, « L’enfer c’est les autres »

Assumer la charge de son image

Cadre futuriste, lumières intimistes, cadreurs armés d’appareils sophistiqués, techniciens couronnés de casques, pigistes pressés… l’ambiance classique d’un plateau de télévision. Le personnel se libère d’un ultime briefing et s’apprête à diffuser un programme de divertissement. La présentatrice, jeune et télégénique, vient affronter, fiches en main, la farandole de caméras braquées sur sa frimousse. Elle en fixe une, puis annonce le sommaire de l’émission dont « la symbolique du chiffre 5 dans les sociétés amazighes ».

« Lorsque l’animatrice présente le magazine, elle s’adresse, parait-il, à l’ensemble des téléspectateurs. »Plateau_TV_Le_Figuier_de_Barbarie C’est l’argument fourre-tout auquel s’accrochent les dirigeants de chaînes et les producteurs, les responsables des sociétés de radiodiffusion et les ministres de tutelle, de manière générale, lorsqu’on les interpelle sur le déficit de représentativité et de visibilité des Amazighs (Berbères) et de l’amazighité (berbérité) dans les mass-médias.

Parait-il en effet car en réalité, si les deux tiers de la population du Maroc, par exemple, sont amazighophones (berbérophones), un tiers seulement est bilingue. Cela signifie que les locuteurs de la langue de Saint-Augustin resteront exclus du paysage audiovisuel tant qu’ils ne maîtriseront pas celle de Mahomet. En d’autres termes, ils s’arabisent et s’assimilent ou ils se désintègrent et disparaissent.

Puisque le sujet a trait à la société amazighe (berbère) en des termes valorisants, le tiers du public en aura une perception positive qu’il renverra naturellement à son tour.

Cependant, un problème persiste. Malgré les bonnes intentions, c’est encore les autres qui débattent à propos et au nom des intéressés. Ces autres décident, de façon unilatérale, de dépeindre ou pas un peuple minorisé, en bien ou en mal, en présence de témoins ou non. Qui plus est, en arabe, idiome a postériori étranger, associé à des symboles idéologiques et historiques, culturels et cultuels lourds de conséquences sur l’identité amazighe. Ces autres là doivent se dépoussiérer et désormais embrasser l’idée qu’exprime la majorité amazighophone de témoigner elle-même, via les médias nationaux, dans ses langues propres, de ce qui la préoccupe et de ce à quoi elle aspire.

La réhabilitation du rôle et du statut des autochtones derrière et devant le petit écran n’est pas de nature à ébranler la stabilité d’un Etat, comme s’en enorgueillissent les artisans de l’apartheid cathodique. Néanmoins, ces derniers seraient remerciés de leur sollicitude. Les concernés auraient apprécié le geste et souhaitent, toutefois, assumer eux-mêmes la charge de leur image.

Jim Selouane ©

18 novembre 2007

France-Maroc : la « Marseillaise » sifflée

Un_poisson_est_pourri_et_tout_le_cageot_est___jeter_Un poisson est pourri et tout le cageot est à jeter…

Vendredi soir, avant le coup d'envoi du match amical France-Maroc au Stade de France, les supporters « Marocains », couverts de drapeaux rouges, ont sifflé l’hymne national français.

Cet incident a mis mal à l’aise joueurs, sélectionneurs et spectateurs des deux pays. Bien que peu relayées par les médias français, les réactions, sporadiques, sont toutefois sans ambiguïté :

« On se demandait si on jouait à domicile. Ce qui est dommage, c’est cet hymne sifflé. C’est particulier car lors d’une finale de la Coupe du monde, les Marocains sont derrière les Français. C’est normal qu’ils soutiennent leur équipe, mais ce qui est dommage, c’est de ne pas respecter la Marseillaise » a précisé Mickaël Landreau, gardien des Bleus.

D’après Patrice Evra, défenseur de l'équipe de France qui n’a « pas vu un seul maillot tricolore » dans les tribunes, « La France et le Maroc s’entendent bien. C’est regrettable de siffler les hymnes nationaux. »

Les commentaires des internautes français sont sans appel : « Nul doute que ce sont des gens qui n’aiment pas la France, qui préfèrent le Maroc, alors, il serait bon et juste de leur dire qu’ils rentrent « chez eux », car ici, en France, leur image donne l’impression qu’ils ne se sentent pas à l’aise. »

Au Maroc, cest l'indignation générale. La presse préfère pour le moment passer cette anicroche sous silence. Cependant, sur Internet ou à travers la radio, la populatoin a exprimé sa tristesse et son incompréhension. Les siffleurs sont qualifiés de « jeunes déracinés qui font honte »...

Jim Selouane ©

17 novembre 2007

Interview : Hamadi entre sa grand-mère et son chien

hamadibioTête-à-tête après le spectacle

Jim Selouane : Comment vous a paru le public, ce soir ?

Hamadi : Agréable. Vraiment encourageant. Quand un conteur mobilise autant de spectateurs, c’est que le conte a encore de beaux jours devant lui.

Vous souvenez-vous de votre première sur scène ?

Hamadi : Oh ! il y a au moins quinze ans ! Hormis le trac du débutant, j’ai ressenti une profonde nostalgie. J’ai pensé à ma grand-mère qui m’a non seulement élevé jusqu’à l’âge de cinq ans, mais qui m’a aussi permis de m’évader. Ce jour où je suis monté sur les planches pour la première fois, je me suis rappelé ses genoux confortables accueillant ma tête alors qu’elle me racontait ces fables…

Aviez-vous une ambition à l'époque ?

Hamadi : Au départ, j’avais choisi le conte, et plus particulièrement le conte berbère, pour un travail de fin d’étude en langues étrangères. Mon but était tout bonnement d’en recueillir quelques uns et de les transcrire en espagnol, comme l’avaient fait sommairement les Espagnols eux-mêmes dans un Rif sous leur protectorat. J’avais entreposé tous ces écrits et enregistrements dans une imposante malle. Je ne sais pas si c’était le courage de les traduire qui me manquait, mais j’avais une envie irrésistible de les dire. Je me suis donc attelé à narrer légendes, proverbes, devinettes… et seulement le quart d’une épopée de plus de 800 pages. Je ne vous cache pas que je n’ai pu en tout et pour tout divulguer qu’une vingtaine de contes. Et à l’occasion, friand de chants anciens, j’en fredonne trois ou quatre au cours de mes spectacles.

C’est curieux cet intitulé « L’enfant, le chien et la grand-mère »...

Hamadi : Les grand-mères ont un rôle décisif dans les sociétés de tradition orale. En Afrique du Nord, les aînés bénéficient d’une estime particulière de la part des jeunes. Et tout le monde sait que, en ces lieux, lorsqu’un vieillard meurt, il emporte une partie du patrimoine. J’ai donc choisi un enfant, car c’est mon histoire personnelle ; et une mamie, puisque ce sont les femmes qui élèvent, éduquent et transmettent le savoir. C’est d’ailleurs auprès de ma grand-mère que je retrouvais le réconfort et les connaissances dont j’avais besoin. C’est elle qui a ouvert mes yeux d’enfant sur ce que je ne pouvais voir seul.

N’y aurait-il pas comme un intrus ?

Hamadi : Zitoune, un intrus ?

Non, Zitoune est un médiateur, un lien entre le monde du bambin et celui des aïeux, entre ici et là-bas…

On rit beaucoup aussi, dans ce spectacle.

Hamadi : On a tendance à penser que le conte s’adresse aux enfants, pour les bercer. Mais le conte est divers. Il en existe de tristes, de philosophiques, et de plus gais.

Avez-vous réussi à identifier l’origine exacte de vos contes ?

Hamadi : Non, bien malhonnête qui dira le contraire. La tradition orale a ce côté mystérieux, personne ne peut en revendiquer la propriété. On réinterprète constamment les histoires. J’ai rencontré une quarantaine de conteurs traditionnels, hommes ou femmes. Si, parmi eux, certains racontent les mêmes fables, chaque auteur réalise son propre « casting » de personnages, dans des cadres très variés. Contrairement à l’écrit qui individualise l’œuvre, l’oralité, elle, appartient au domaine public. Et il n’est pas aisé de déterminer l’époque d’un récit puisque, par définition, il est atemporel. Son interprétation évolue au fil des périodes. Et cette adaptation peut s’ajuster à un public moderne et, à côté, conserver un sens séculaire.

.

Témoignages et opinionsHamadi

Je trouve Hamadi très touchant. L’histoire du garçon et de son compagnon à quatre pattes est assez nostalgique. Elle met en évidence la relation entre les aïeux et les enfants. Ça peut faire penser au monde du passé et à celui du présent, ou au monde d’ici et celui de l’au-delà…

Il y a beaucoup d’émotion dans ce spectacle. J’ai cru comprendre qu’il jouait son propre personnage. On oublierait presque qu’il est le conteur, on l’associe rapidement aux personnages du conte. On aurait très bien pu ne pas le regarder, fermer les yeux et l’écouter. Très convaincante interprétation.

R.G.

J’ai été frappé par le personnage de Mbark. Ce vieil homme que le petit retrouve systématiquement sur son passage entre les deux mondes. On se demande ce qu’il fait là. Même si, à première vue, son rôle est limité, je pense qu’il doit avoir une importance qui m’a échappée. Il faut dire que ce spectacle est chargé de symboles et je suppose que rien n’y figure par le fruit du hasard.

Par contre, je ne sais plus si le petit garçon fait partie des « Partants » ou des « Porteurs ». Il part tous les jours lui aussi puisqu’il va rendre visite à sa grand-mère. D’ailleurs, un jour, il part… et ne revient plus.

Quant aux « Porteurs », je me demande si ce n’est les porteurs de la tradition, de la mémoire… J’ai beaucoup apprécié.

E.G

J’ai eu l’impression d’être un enfant moi-même. Son personnage, le petit garçon, m’a complètement transporté dans ma propre enfance lorsque je rendais visite à ma grand-mère. J’imaginais très bien cette colline, le sentier, les cailloux…

J’étais un peu mal à l’aise vers la fin. On ne savait pas si c’était fini, si on devait applaudir. Il était resté figé, les yeux bien ouverts, scrutant presque chaque spectateur. Ça a duré un moment. On ne se sentait plus maîtres de soit. On était rentrés dans son univers et il ne nous a donné aucun signe. J’ai vu trois de ses spectacles et c’est toujours un plaisir.

F.E

J’ai rencontré Hamadi au tout début de sa carrière. A l’époque, le conte était réputé être une affaire de vieilles dames, destinée à calmer la turbulence des diablotins. J’en étais moi-même convaincu. Un jour, j’ai entendu « Hamadi vient conter à la Basilique ». Avant de faire entrer un vieux Rifain dans une Basilique, il faudra d’abord le droguer ! j’ai pensé.

Quelle surprise a été la mienne lorsque j’ai pénétré dans la cour de la Basilique bondée de spectateurs impatients! Sur une estrade, Hamadi, éclairé par une lumière jaune tamisée, s’avance et dit : « Dans le Rif, le village d’où je viens... ».

N.A.

Jim Selouane ©

Plus :

Hamadi, un conteur peu bavard

La maison du conte de Hamadi

8 novembre 2007

Hamadi conte « L’enfant, le chien et la grand-mère »

Hamadi_conteur« Un petit garçon âgé de cinq ans vit dans le village des « Solitaires ». Dans ce hameau, les gens naissent et demeurent solitaires. Parmi eux, on trouve les « Porteurs » d’un côté, et les « Partants » de l’autre. Par nature, les « Porteurs » passent leur temps à porter, et les « Partants » pensent constamment à partir. Telle semble être la destinée de ces villageois.

Comme ailleurs à travers la campagne rifaine, la bourgade grouille d’animaux : poules, chats, et moult chiens féroces aux oreilles dressées qui guettent le moindre coquelet égaré. Zitoune est le plus grand et le plus doux de ces canidés. Il n’appartient à personne en particulier mais c’est avec le petit garçon qu’il s’entend le mieux.

Fidèle à la tradition des « Partants », un matin, le bambin décide de partir en compagnie de Zitoune. Ils franchissent tous deux la rivière, puis grimpent la colline derrière laquelle se cache un monde merveilleux : celui des grands-mères et de la sagesse. C’est dans cet univers que l’enfant retrouve son aïeule, celle qui lui dit souvent : « tu verras, ton chien te parlera… » »

Voilà le début résumé d’une chronique narrée à des milliers de personnes par un conteur original. Aux prises avec sa propre histoire, sur le mode des improvisations vocales des femmes rifaines, Hamadi raconte et chante les souvenirs d’enfance, les figures aimées, aujourd’hui disparues, la parole et la vie des petites gens, leurs mythes, leurs rêves et surtout, le merveilleux et si tendre pays des grand-mères.

D_o__vient_le_ventHamadi, artiste aux multiples talents

Ne nous méprenons pas. Hamadi n’est pas seulement conteur. Au fil de son spectacle, on le découvre à la fois auteur, conteur et chanteur. Les chants illustrent et renforcent ses propos, à l’image des grand-mères qui, jadis, ponctuaient leurs fables de légers refrains. La voix aiguë digne d’un soprano, le raconteur originaire de Midar surprend plus d’un spectateur. En effet, au milieu du récit, tandis qu’il marque la pause après une avalanche d’événements poétiques et rocambolesques, soudain, il fredonne une mélodie. Un cri de guerre écorché, peut-être. Envoûtant, mystérieux.

Hamadi, auteur

Écrivain ayant « mal tourné », Hamadi s’investit dans l’écriture avec générosité. « Quand on aime, on ne conte pas », dit-il. Mais avant de partager ses histoires, la tâche consiste à les adapter à un contexte, à une époque. Au répertoire commun, l’auteur emprunte l’ossature qu’il habille ensuite de péripéties et de personnages, fruit de son imagination.

Hamadi40Hamadi, homme de scène

Hamadi ne veut pas se contenter d’interpréter ses fables à l’instar du vieux diseur, affabulant sur ses mésaventures dans un souk ou à l’ombre d’un olivier. Il préfère étudier les aspects psychologiques et historiques des protagonistes d’une épopée pour leur octroyer une meilleure incarnation théâtrale. Après plusieurs années de « récolte », comme il aime à le dire, de plus de cent vingt contes, expressions, proverbes, il n’avait en effet « de choix que de les mettre en scène et de leur donner vie », dit-il, car « le conte se raconte et se mime aussi ». Et en la matière, le mythographe rifain possède le talent de capter l’attention des plus réticents.

Jim Selouane

A suivre : Interview : Hamadi, entre sa grand-mère et son chien ; Micro-trottoir : témoignages et opinions de spectateurs

2 novembre 2007

Documentaire animalier et fantasmes cathodiques

Figoscopie_La_vie_du_blogMignons, ces Barbares…

Prochainement en ligne

Extrait : « …En Afrique du Nord ou ailleurs, on devient friands de documentaires ethnographiques. Les médias, les chaînes de télévision publiques et privées, en tête de peloton, abreuvent le téléspectateur, à longueur de journées, de panoramas idylliques et de gros plans sur visages burinés. Les bipèdes déplumés, les Berbères et autres espèces en déclin peuvent se targuer d’une chose : les humains, créatures civilisées et douées de raison, pensent à eux… Grâce aux documentaires animaliers, réalisés avec les moyens d’Ouarzazate ou de Tamanrasset, tout le monde sait, désormais, que le Berbère vit essentiellement en montagne même si on le retrouve égaré en ville. Il vit en groupe et s’est organisé en société proche de celle des hommes. Le Berbère craint le froid. Pourtant il résiste parfaitement aux températures extrêmes. La femelle étonne puisque polygame. Le petit du berbère, vif et obtus comme ses parents, court pieds nus à travers les taillis et la rocaille… »

Jim Selouane

2 novembre 2007

Réincarnation virtuelle

Figoscopie_La_vie_du_blogDu 14 impasse Ibn Khaldoun au World Wide Web

Prochainement en ligne

Extrait : « …Associations, syndicats, mouvements culturels, partis politiques, artistes, chercheurs… chacun à son niveau et selon ses méthodes, dans la rue ou discrètement dans un local, s’est employé, depuis la préhistoire du berbérisme, à défendre et à promouvoir le « concept » et le « fait » berbères ; Les uns au travers d’activités très localisées, d’autres à l’échelle nationale ou au-delà des limites naturelles de l’Afrique du Nord. Aujourd’hui, l’arrière boutique clandestine située au numéro 14 de la fictive impasse Ibn Khaldoun est peu fréquentée. La voie célébrant le savant africain du nord est d’ailleurs condamnée. Un écriteau cloué en plusieurs endroits sur les murs informe les passants : « rendez-vous sur le www ». En effet, Internet offre une nouvelle perspective et devient un espace de liberté… »

Jim Selouane

2 novembre 2007

Entre militance-journalistique et journalisme-militant

Figoscopie_La_vie_du_blogLa PNB : la Presse « Nationale » Berbère

Prochainement en ligne

Extrait : « …Hier encore, les responsables associatifs jouaient leurs vies à la simple idée d’émettre un tract, un feuillet périodique de fortune dans lesquels ils déclinaient leurs activités et les valeurs qui les animaient. À l’aube de 2008, les militants défient autant les autorités qui, tel un prédateur embusqué, guettent et répriment la moindre initiative locale ou d’envergure. Tout ce qui bouge est dans le rouge, et tout ce qui est visible devient cible. Mais l’actualité et l’histoire récente démontrent que la résistance ne faiblit pas. En effet, en dépit du climat répressif et de la pénurie matérielle, nulle despotisme ne semble étouffer l’émergence de potentialités, de vocations, et de compétences. Ainsi, contre vents et marées, une presse berbère prend forme, non seulement en Afrique du Nord mais aussi au sein de la diaspora… »

Jim Selouane

31 octobre 2007

Préambule de bienvenue

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En amateur, je m’attache à retranscrire et à partager avec les visiteurs de ce blog les faits, l’actualité analysée et commentée selon un angle de vue personnel, et les histoires ayant l’Afrique du Nord en toile de fond : tranches de vie, personnages réels ou fictifs, événements historiques avérés ou revisités, anecdotes… Au fil des récits(1), les visages, les voix, les accents, le climat, le paysage, les saveurs, les sensations… s’avèrent être des acteurs à part entière, pourvus d’un rôle influant sur le destin des Hommes. Outre l’impératif lié à l’information se renouvelant sans discontinuité, cet espace sera d’abord le reflet d’une inspiration tributaire de l’état d’esprit du moment. Des rubriques viendront peu à peu enrichir le contenu du blog pour permettre une navigation fructueuse.

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Posons le décor : l’épine dorsale du blog

Le cadre que je m’emploie de conter m’a d’abord surpris.

Dans ce cadre, on perçoit un véritable décor lunaire. Un paysage formé de vallons à perte de vue, de collines qui rivalisent entre elles pour planter leurs dorsales dans le ciel. Ici, les chaumes jaunis par un soleil sempiternel couvent la perspective, et les figueraies de barbarie étreignent les îlots d’habitations. Seuls les monts du Rif délimitent, au loin, les étendues quasi désertiques, d’apparence inhospitalière. Muraille naturelle infranchissable, les massifs enclavent les populations disséminées parmi les gorges et plaines.

Le tour des mondes

Selon les érudits locaux, un reste du monde doit pourtant bien exister, là-bas, derrière ces hauteurs qui ceinturent les villages. « Assurément ! diraient les pèlerins voyageurs. Mais plutôt de l’autre côté de la Méditerranée. Là où vont et viennent les remous impurs avant de se réfugier sur nos plages. »

Les superstitieux, eux, parlent de microcosmes sans nombre qui évolueraient à mille lieues sous nos pieds. Ces humanités s’étageraient sur différents niveaux de la couche terrestre, dans l’ignorance totale les unes des autres.

Les gardiens de la mémoire collective, enfin, plus terre-à-terre, affirment que des civilisations se trouvent au dessus de nos têtes. Dans le bleu vide. Plus haut que les nuages. Là où se terre Anzar, dieu de la pluie. Celui-là même qui, en représailles, quelques millénaires auparavant, envoya la sécheresse aux Hommes refusant de lui faire offrande de leurs filles.

La sagesse populaire enseigne que, dans les airs ou les sous-sols, les sociétés peuvent s’apparenter, se jouxter ou se superposer sans pour autant se rencontrer.

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Au cœur d’un monde…

…Comment oublier les odeurs matinales des galettes de pain, qui exhalent des maisons au style mésopotamien, et se répandent à travers le village, pour venir piquer les narines et réconforter les mômes affamés, embusqués dans la cacteraie ?

Une jarre sur le dos, les jeunes puiseuses explorent, pieds nus, les lits de rivières asséchées. Malgré le regard indifférent du névé, leurs yeux pétillent d’espoir à l’idée de trouver une source féconde pour ravitailler leurs familles en eau douce.

Le Figuier de Barbarie ne nécessite pas d’eau. Pas d’engrais non plus, ni d’entretien. Gel, canicule, vents… nul élément ne tient sa prolifération en échec. Néanmoins, le Figuier de Barbarie se mouille pour qu’il fasse beau.

Au travers de ce blog, l'occasion sera de dépeindre les visages ridés par la vie du plein air et la sévérité du climat, mais aussi par le doute, le dénuement qui n’altèrent cependant ni la joie de vivre, ni la générosité des habitants.

L’occasion sera aussi de s’associer à tous ceux qui, pour des raisons diverses, pensent et parlent de ces femmes et fillettes ne s’exprimant que par le chant ou les larmes. De lettres d’autrui et de mots empruntés, seront noircies les feuilles aussi blanches que les nuits des pères et frères affrontant indifféremment le Chergui comme la canicule. De manière impartiale, seront relatées les ambiances chaleureuses de fêtes et d’insouciance, celles de la peur et de la maladie, celles des rites et des croyances ; sans taire les injustices, les privations, l’intolérance et la domination des pouvoirs successifs.

Voilà donc un peu l’esprit de ce blog : montrer les multiples facettes de cet univers dans lequel j’invite le lecteur. Un univers familier, parfois commun, et si mystérieux à la fois.

Bonne lecture et bon surf.

Jim Selouane

(1) Les textes contenus dans ce blog sont des œuvres personnelles protégées par un copyright, lois régissant les droits d’auteur. Ces textes peuvent néanmoins être diffusés avec l’autorisation de l’auteur et à la condition d’en citer la source (auteur + l’adresse du blog).

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